jeudi 30 avril 2020

Faire de la radio : c'est simple (avant)…

Quelques mois après avoir mis sur les fonds baptismaux Inter, Culture et Musique (Novembre 1963, quelques jours avant l'inauguration de la Maison de la radio) Roland Dhordain, cherche un animateur jeune pour booster Inter dont l'État a suggéré qu'elle ne se laisse pas trop distancer par les périphériques Radio-Luxembourg et Europe n°1. Il l'évoque face à son médecin qui va en parler avec le baby-sitter de ses propres enfants. Gérard Klein se présente, est embauché et dégoupillera plusieurs fois la radio publique avec un naturel stupéfiant. Ce naturel lui vaudra quelques renvois fameux qui lui permettront de tester les micros d'Europe 1, d'RTL et de RMC, de revenir à Inter etc…



Dhordain a du flair et un sens inné pour la radio. Mais en 67, il prend le large et va s'occuper de culture au Club Méditerranée de Gilbert Trigano. 68, finissantt par rendre muet l'ORTF (Office de Radio Télévision Française) quand Yves Guéna est nommé fin juin 68 Ministre de l'Information, il rappelle Dhordain qu'il charge de remettre d'aplomb la radio. Dhordain accepte. Il maintient les Radio Vacances au Pays Basque, au Castelet, à Cannes en mobilisant plusieurs animateurs d'Inter qui ne prendront pas de vacances.
Il passe l'été à préparer sa grille de rentrée (5 octobre 68). En ces temps reculés, une animatrice, un animateur ne se trouvent pas sous le pas d'un cheval. On ne débauche pas de la TV, on ne fait pas appel à des vedettes ! Pour la case 18h10/19h, il n'a pas trop de choix. Il va faire appel à un déjà vieux briscard, José Artur, qui en plus de son Pop-Club animera Qu'il est doux de ne rien faire quand tout s'agite autour de vous, une anti-émission de France Inter, présentée par personne. Champion du monde du titre le plus long !

Quelques années auparavant il avait donné sa chance au pompier Daniel Hamelin, qui à force de le harceler pour faire de la radio, avait fini par lui proposer d'être l'assistant de l'anchorman des matinales d'Inter, l'ultra populaire, Georges Lourier. Il finira par remplacer ce ténor, par ouvrir Radio Mayenne la première locale de Radio France en 1980, en même temps que démarrent Melun FM et Fréquence nord.

Et pardonné son insolence à Jean-Louis Foulquier, standardiste à l'ORTF, quand ce dernier avait répondu au directeur (qui s'était présenté), qu'il était les Beatles (ou la Callas, je sais plus). Dhordain le convoque dans son bureau et beau joueur lui demande ce qu'il veut faire. Foulquier passionné de chanson voudrait en faire une émission. Il commencera par "Routes de nuit" puis ce seront de nombreuses émissions sur la chanson française !

Voilà ! C'était simple. Artisanal sans doute. Avec une bonne dose d'intuition. L'exigence de la qualité et du service public. Dhordain a fait des miracles et donné leur chance à beaucoup d'autres jeunes pousses. Plus personne après lui n'a dirigé la radio comme il avait su l'inventer avec bon sens, intuition et sens du service… O tempora, o mores !
(À suivre)

mercredi 29 avril 2020

Indicatif vs générique…

La porte s'ouvre et quelquefois c'est la fenêtre. Ça dépend. Ça dépend de quelque chose d'indescriptible et peut-être d'indicible. La radio est allumée en continu. Vous n'écoutez que d'une oreille un bavardage qui se targue être de l'info. Mais vous êtes prêts et si jamais vous ne l'êtes pas, cette musique, cette voix qui viennent de prendre l'antenne peut vous mettre dans un état second, vous inciter à sourire, vous imposer d'arrêter de faire ce que vous étiez en train de faire, vous suggérer de vous asseoir quelques secondes pour savourer cet indicatif-là. Cet indicatif c'est la promesse de passer un bon moment où vous êtes sûr que celle ou celui qui est au micro ne va s'adresser qu'à vous. En secret. Et ça, ça change tout à votre écoute de la radio !















Au débotté je dirai qu'en entendant Girl talk de Neal Hefti, j'ouvre la fenêtre. Comme pendant des années je l'ai fait à 9h05, guettant le Bonjour de Pierre Bouteiller dans son magazine que personne n'a jamais appelé Embouteillages (France Inter), mais le Magazine… 1'22" d'indicatif sans aucune parole. Le temps de s'installer. Le temps de prendre le temps d'écouter. Ça c'était son indicatif et dessus, ses premiers propos font son générique ! Right ? 

Alors ces ritournelles entêtantes fixent à jamais l'émission bien plus que le morceau lui-même… J'ai raconté récemment l'histoire de Hey nineteen de Steely Dan, là sans doute qu'à cette heure-là (18h10) j'ouvrais la porte, comme je l'avais ouverte des années plus tôt à Chancel et Georges Delerue pour l'indicatif de Radioscopie… Mais longtemps à 21h je ne me suis pas couché de bonne heure les riff de Van Halen me mettaient en Eruption et tout ouïe aux histoires pop de Bernard Lenoir. Celui de Mulatu Astatake, Yegelle Tezeta pour Plan B de Bonnaud sur le Mouv'. Et sur la même chaine le Move on up de Curtis Mayfield pour la matinale de Belatar…

Et puis j'ai ouvert un œil avec l'accordéon de Marc Perrone pour le Culture Matin de Jean Lebrun, fermé les yeux quelques instants pour Les nuits magnétiques de Veinstein sur Culture. Et que dire des trompettes (de la renommée) de Jim Wild Carson qui résonnent de loin en loin et interpellent nos Oreille(s) en coin. Forever. Et sur Minellos de Rubin Steiner j'entendrai à jamais la voix de Francesca Isidori avec son si bel accent italien pour ses Affinités électives

Mais malgré tout j'ai un grand faible pour celui d'Hugues le Bars d'En avant la zizique de Poulanges et Pezet. Ça chante, ça mixe, ça swing et je le réécoute bien plus souvent que le temps d'une chanson… Il en existe tant d'autres qui ont ouvert portes et fenêtres, qui ont procuré frissons et quelquefois quelques larmes, si jamais en écoutant tel indicatif il y avait lieu de pleurer de tristesse ou de joie. Mais pour retrouver sérénité et joie de vivre quoi de mieux que Lujon d'Henry Mancini pour Easy Tempo de Valero & Jousse sur France Musique !
(À suivre)

Sur ce blog je vais éviter les notes de bas de page, pour en savoir plus, vous devriez trouver plusieurs réponses sur Radio Fañch

 

mardi 28 avril 2020

Raconte Kriss… raconte

De quelques façons qu'on aborde "la Kriss", comme elle savait se nommer, on comprend vite que c'est une conteuse. Mais pas une conteuse de veillées ou de foire, non, une conteuse du quotidien. Avec cette qualité exceptionnelle d'être très vite avec vous, chez vous dans la maison, dans votre quotidien, vos préoccupations, vos joies et vos peines. Votre vie tout simplement. Kriss est là et c'est bien. À la radio publique (France Inter) de 1969 à 2009 elle a juste émerveillé nos quotidiens, sublimé la parole, câliné nos émotions.



Peu de femmes ou d'hommes de radio ont à ce point marqué leur temps et ce média si singulier qu'est la radio. Femme singulière elle était en phase absolue avec la fonction même de la radio : diffuser. Elle diffusait tellement d'ondes positives qu'elle était la radio. Quand elle était au micro c'était plus pareil. Elle était là et on lui faisait une place dans le moment présent. Une place pour l'écouter. Une place pour rire avec elle. Une place pour lui répondre. Une place pour chanter. Elle était là. Et il n'aurait pas fallu qu'elle manque au quotidien.

Et pourtant, elle fut plusieurs fois pendant ces quarante ans, en hebdo et même quelquefois elle ne fût plus là du tout. C'est le jeu - cruel - des programmes et des programmateurs… "Auditrices de ma vieauditeurs de mon cœur" comme elle aimait souvent le dire était beaucoup plus qu'un slogan. Sa marque de fabrique. Tout pour la radio. Jusqu'à continuer son travail de montage à la maison. Jusqu'à ce que sa vie soit toute habitée - nuit et jour - par la radio.

En 1969, avec Emmanuel Den, elle est venue "voir" si elle et lui pourraient faire quelque chose à la radio. Garretto et Codou, géniaux producteurs à France Inter, ont mis à leur disposition un studio, des techniciens et des moyens techniques. Après trois mois de bidouillages inventifs, ils ont intégré la famille de L'Oreille en coin (1968-1990). La radio a produit le meilleur et a façonné les oreilles et le cœur de milliers d'auditeurs orphelins depuis ce si triste 19 novembre 2009…
(À suivre)



Kriss, « La sagesse d'une femme de radio », Paris, L'Œil neuf, 2005

lundi 27 avril 2020

Max… Zappy Max

Zappy Max n'avait rien d'un James Bond mais comme le héros de cinéma Zappy Max a marqué durablement son temps, la radio du siècle dernier. Bateleur parmi les bateleurs et bien avant Bellemare, Zappy Max a personnifié jusqu'au milieu des années 60, la radio populaire telle que Radio Luxembourg…




En 1966, Jean Prouvost, industriel du Nord, devient Pdg de (Radio) Luxembourg, la rebaptise RTL, nomme Jean Farran, directeur de la chaîne. Ce dernier venu de Paris-Match, dirige la chaîne jusqu'en 1978 et bouscule le bel ordonnancement installé par les pionniers. Farran dégage les feuilletons (jusqu'à treize par jour, dont "la famille Duraton"), dégage Zappy Max, et installe entre autres, Ménie Grégoire, qui dans une antenne ouverte donnera la parole aux femmes (1)  !

Le seul intérêt de "Blow uppour Zappy, la formidable émission d'Arte, justifierait à lui seul ce billet. Zappy décède en juin 2019. Jean Lebrun, producteur à Radio France, l'avait au moins reçu à une ou deux reprises dans ses émissions (2). Dont une en direct au Festival Longueur d'Ondes à Brest… Le phénomène Max avait incité Pilote l'hebdomadaire de René Goscinny a publier un feuilleton dessiné du célèbre feuilleton radiophonique "Ça va bouillir" (1956), sponsorisé à l'époque par une grande marque de lessive, comme chacune des émissions de RTL l'étaient par des annonceurs.

Si Roland Barthes n'a pas fait de Zappy une Mythologie, Georges Perec lui ne manquera pas de s'en souvenir (3)…
(À suivre)

(1) Denis Maréchal, RTL, histoire d’une radio populaire, Nouveau Monde (éditions), 2010,
(2) Et aussi
(3) Georges Perec, Je me souviens, Hachette, 1978.

dimanche 26 avril 2020

Il était une fois…

Ce titre ! Ça commence bien non ? Alors voilà, j'ai décidé - unilatéralement - de continuer à écrire sur l'actualité de la radio sur le désormais célèbre - Radio Fañch - et, sans la tyrannie de l'actualité torride et malfaisante, d'écrire des histoires de radio sur Radio de poche, nouveau lieu d'histoires intimes, extraordinaires, sensibles autour de ce média singulier : la radio…



Il était une fois, donc. Août 86, rentrant de chez le réparateur de postes à modulation de fréquence, j'ai récupéré ma p'tite radio. C'est dans la poche. Un transistor gris (Sony). Il n'est pas tout à fait 13h. Je tourne la molette et là choc à l'ouverture j'entends une voix jamais entendue auparavant et je me dis "C'est Giono"… Jean de son prénom. 1895-1970. Écrivain français que je vénère depuis l'adolescence ! Mais d'où parle-t-il ? J'imagine que ce pourrait être France Culture ? J'attends la désannonce. C'est sûr ce n'est ni NRJ ni Nostalgie et encore moins RTL !

Mais Giono ? C'est semble t-il une série d'entretiens ? Quand cela a -t-il commencé ? Trop tard pour filer à la Maison de la Presse pour acheter Télérama ! The référence, voyons !  J'appelle Radio France à Paris. Le standard. Je pose mes questions. Les entretiens ont commencé depuis la semaine précédente (on doit être mardi ?). Comment faire pour réécouter les premiers épisodes ? Je ne manquerai pas les suivants ! (1) Et j'achèterai Télérama !

À partir de là je suis entré dans France Culture. Par petites touches. J'y ai mis la tête, le bras et tout le corps et j'ai fini par déserter Inter pour l'écouter toute la journée. Quitte quelque fois à n'y rien comprendre ! C'était le début d'un long compagnonnage… Et de formidables écoutes, au point de pousser loin ma passion de la radiophonie…
(À suivre)

"Un roi sans divertissement" 
Feuilleton en dix épisodes à retrouver sur le site de France-Culture
 

Mon idée est de publier ces histoires de poche 
chaque jour à 18hOn verra bien…

(1) Entretiens avec Jean Amrouche et Taos Amrouche, Gallimard, 1990,