dimanche 3 mai 2020

Inventer la radio… autrement ! (2)

Très vite L'oreille en coin (France Inter, 1968, 1990) va devenir un laboratoire. On teste, on bidouille, on peaufine jusqu'à plus soif. Chaque produit diffusé à l'antenne a la patte de l'artisan. C'est du cousu main et on passe des nuits et des nuits à monter et à mixer s'il le faut. Garretto et Codou accompagnent chacun dans sa démarche de création et de finalisation de son reportage, documentaire ou fiction. Kriss disait "Nos papas". Ils sont exigeants, pointus, rigoureux mais ils laissent beaucoup de liberté à chacun, animatrice ou animateur. Ils créent une équipe, une famille et mieux "Une radio dans la radio".


Codou et Garretto (1980)

















Il faut d'abord rappeler que dès 1968, (jusqu'en 1971, L'Oreille s'appelait TSF suivi de l'année) ils font venir au micro de nombreuses femmes qui découvriront le métier et, pour certaines, y resteront très longtemps attachées, bien après la fin de l'Oreille. Les après-midi des samedi et dimanche sont enchainés par une voix, une présence. Et cette voix familière on la retrouve aussi à la création de reportages, documentaires, fictions. Elle n'est pas à côté, elle est avec l'équipe. Elle parle de la fabrique pour en être elle-même. Ce sera entres autres le cas de Katia David, Agnès Gribes et Kriss.

Dans l'hommage qui fût rendu à Jean Garretto au 104, fin octobre 2012, Pierre Wiehn, ancien directeur d'Inter (1973-1981) a dit qu'il ne voyait pas pourquoi il aurait changé quoi que ce soit aux fins de semaine puisque ça marchait si bien. D'un passage du bouleversement sociétal de 68 à une nouvelle société des 70' et 80', L'Oreille filait allègrement vers l'an 2000. Mais tout ça c'était avant le drame et ce n'est pas qu'une expression.

L'autonomie des deux producteurs et de L'Oreille ne manquent pas de faire des jaloux. Et quand Jean-Noël Jeanneney, nouveau Pdg de Radio France demande à Garretto de prendre la direction d'Inter, ce dernier décline fermement (Pierre Codou est décédé en 1980). Mais il finit par accepter, demande un délai pour prendre ses fonctions en janvier 1983. Et là, pour élaborer sa grille de programmes, fidèle à sa légende, il va mettre un sacré coup de pied dans la fourmilière.

En composant ses après-midi comme dans L'Oreille avec une formule qu'il appellera Les pleins et les déliés il déstabilisera les barons de l'antenne, Artur, Bouteiller, Chancel, Villers, en leur demandant de changer de case et de format. La grogne sera tenace et quand Bouteiller fût nommé directeur d'Inter en 1989, rien n'était pardonné. Bouteiller recevant Garretto pour envisager la suite de L'Oreille lui dit : "Tu ne crois quand même pas que je vais gérer la maison du lundi au vendredi et te laisser les clefs pour le week-end ?". Bouteiller accepta de garder L'Oreille en coin du dimanche matin. Garretto était défait, humilié, K.O. Et à la rentrée suivante prit ses cliques et ses claques et fila à Europe 1 pour produire le dimanche matin "Persona grata".

C'en était fini de L'Oreille en coin. De l'invention permanente, de la folie, de la joie. De la famille. La radio dans la radio, concept que Garretto ne voulait pas mettre en avant, avait fini par se retourner contre ses inventeurs et acteurs. Cela restera comme la grande invention radiophonique de la fin du XXème siècle. Une expérience unique. Un laboratoire prestigieux. Et pour l'auditeur que je suis ma plus belle école de l'écoute.
(À suivre)


P.Jacques, M.O.Monchicourt, Kriss, A.Gribes, E.Den, K. David













Pour en savoir plus, rendez-vous sur Radio Fañch, mettre dans la barre de recherche "L'Oreille en coin" .

"Bande à part", François Jouffa, Simon Monceau, 1970, une séquence de TSF 70 (l'ancêtre  de l'Oreille en coin)…

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